Interview Vendredi saint 2019

 

«Toute personne mérite qu’on raconte son histoire»

 

En enquêtant sur la vie des accusés qui risquent la peine de mort et en racontant leur histoire, Elizabeth Vartkessian veut placer la dignité humaine au cœur du processus judiciaire. 

 

L’ACAT-Suisse a eu le privilège de rencontrer Elizabeth Vartkessian en Suisse en octobre dernier.

 

Madame Vartkessian, pourquoi vous être lancée dans l’enquête biographique ?

J’ai commencé en 2004, au Texas, à enquêter pour la défense dans des procès en peine capitale. Une question importante m’a saisie durant les premières années de mon travail : pourquoi des affaires similaires se soldent tantôt par la peine de mort, tantôt par la prison à vie ? Pour y répondre, j’ai entrepris des recherches sur le sujet. J’ai découvert que cela tenait très peu à la teneur du crime – tous les crimes étaient déchirants. La différence se jouait sur l’enquête effectuée sur le parcours de l’accusé, et sur la quantité d’informations qu’on présentait aux jurés. En 2014, j’ai fondé Advancing Real Change, Inc., une association caritative qui mène des enquêtes biographiques pour des accusés défavorisés risquant la peine de mort, ou la perpétuité, pour des crimes commis avant leurs 18 ans. Je fais ce travail parce que je crois que toute personne mérite qu’on raconte son histoire.


Raconter le parcours de l’accusé décide donc de sa vie ou de sa mort ?

Il est effectivement très difficile de faire du mal à une personne pour laquelle vous avez de l’empathie, que vous reconnaissez comme un être humain. Condamner quelqu’un à mort, c’est lui faire un mal terrible. Durant mes recherches et mon travail d’enquêtrice, j’ai interrogé une centaine d’anciens jurés de procès en peine capitale. Ce qui revenait dans tous ces entretiens, c’est qu’un juré décidera de condamner une personne à mort s’il l’estime irrécupérable. En d’autres termes, la pitié des jurés ne s’étend pas aux personnes qu’ils ne croient pas capables de rédemption.


Comment parvenez-vous à ce que les jurés ressentent de l’empathie pour l’accusé ?

Lorsque des jurés entendent un récit complet et fidèle sur l’accusé, ils peuvent plus facilement comprendre le contexte dans lequel s’inscrit le crime. Ils peuvent aussi se reconnaître dans certains traits de caractère qui rendent l’accusé plus humain à leurs yeux. Par exemple, un accusé peut être un bon père, un fils aimant, un travailleur zélé ou une personne pieuse. Les jurés en viennent à le considérer comme une personne ayant commis un acte terrible plutôt que comme une chose sans humanité. L’impulsion de le faire payer laisse alors souvent place à la décision de le laisser en vie.


Vos enquêtes interviennent-elles nécessairement dans les procès en peine capitale ?

Dans tout procès de ce type, l’avocat de la défense a besoin d’un détective enquêtant sur les faits et d’un spécialiste en circonstances atténuantes – le « mitigation investigator ». Ce dernier a pour tâche d’examiner le contexte social, biologique et psychologique entourant l’accusé sur trois générations. Du fait de leur pauvreté, nos clients ont tous un avocat commis d’office. Comme un tel avocat n’a généralement pas d’enquêteurs dans son cabinet, des tribunaux de tout le pays nous confient la recherche de circonstances atténuantes en faveur de l’accusé.


Si Advancing Real Change, Inc. est sollicitée par les tribunaux, pourquoi est-elle à but non lucratif?

Nous tenons à offrir la meilleure défense possible à chaque client. Concrètement, cela signifie que nous faisons bien plus de travail que ce pour quoi nous sommes payés, et qu’il nous faut pouvoir lever des fonds pour couvrir la différence. Notre mission est également de former d’autres personnes à ce travail. Nous voulons qu’il soit facile de l’apprendre et offrons donc des formations et des consultations que personne ne nous paie. Nous avons aussi besoin de lever des fonds pour fournir ces services.


Le concept de « mitigation », la recherche de circonstances atténuantes, est-elle donc un concept peu développé dans les procès en peine capitale ?
Il est difficile de répondre. Elle est bien développée dans notre jurisprudence. Toutefois, de nombreux avocats de la défense et certains tribunaux continuent de ne pas bien comprendre de quoi il s’agit ni comment il faut procéder pour qu’elle soit utile. Beaucoup de personnes se prétendent qualifiées pour faire des recherches en « mitigation » sans avoir reçu la formation appropriée. C’est aussi pour cela que le soutien d’Advancing Real Change, Inc. est gratuit : nous voulons que ceux qui font ce travail respectent les normes professionnelles.


Vous défendez des personnes accusées d’avoir commis des crimes terribles. Quelle réaction votre travail inspire-t-il à leurs victimes ?

En tant qu’enquêtrice, je n’ai pas beaucoup de contacts directs avec les victimes ou les personnes qui leur sont chères, mais j’en ai côtoyé en tant que chercheuse. Elles exprimaient un mélange d’émotions, dont de la frustration contre ce système qui ne les aide pas du tout à comprendre ce qui se passe. Beaucoup veulent savoir pourquoi cette chose horrible s’est produite, mais ne peuvent obtenir de réponses tant que la procédure est en cours. J’ai découvert que ce que les victimes souhaitent au final, c’est d’avoir au minimum plus d’informations – peu importe la peine qu’elles veuillent voir imposée à l’accusé. L’enquête biographique vise à en fournir le plus possible sur l’accusé. J’ai l’espoir que cela puisse apporter du soulagement.


Comment ces informations peuvent-elles apporter du soulagement ?

Pour avoir passé du temps avec des victimes, je sais que la page ne se tourne jamais. Nos enquêtes sur les parcours de vie des accusés sont une façon d’essayer de trouver un sens intrinsèque lorsqu’il semble faire défaut.


La peine de mort est souvent considérée comme le seul châtiment approprié pour des personnes comme les terroristes, responsables de beaucoup de souffrance et de mal. Qu’en pensez-vous ?

Les personnes accusées de terrorisme sont généralement jugées au niveau fédéral, où il y a plus de ressources, ce qui leur permet souvent d’éviter une condamnation à mort. Par exemple, Ted Kaczynski (« Unabomber ») y a échappé, tout comme Zacharias Moussaoui, cerveau des attentats du 11 septembre 2001. Les prisonniers du couloir de la mort comptent majoritairement parmi les personnes les plus vulnérables, souvent atteintes de maladie mentale ou d’un handicap intellectuel, avec la pire défense possible.


Quels schémas reviennent dans les affaires où vous avez mené une enquête biographique ?

Absence de soins médicaux, pauvreté extrême, négligences et violences parentales, manque de sécurité, accès limité à une formation de qualité et abandon se retrouvent sur des générations. Des interventions préventives pourraient donc empêcher les meurtres et rendre la société plus sûre. La peine de mort ne le permet pas. En réalité, elle peut générer bien plus de souffrances psychologiques pour ceux qui restent.

 
Quand vos enquêtes biographiques sont-elles un succès ?

Chaque fois qu’un client n’est pas condamné à mort, je vis un bref instant de soulagement intense. Une fraction de seconde plus tard, je suis généralement en larmes, parce que je sais que du coup, mon client va mourir en prison, ce qui est à mon sens inutile et constitue une torture. Aucune issue ne m’apporte donc de joie, mais vu le système qui est le nôtre, ces dénouements sont des succès.


Vous êtes tous les jours confrontée à des destins cruels. Pourquoi faire ce travail ?

Le système judiciaire américain a été conçu pour sembler équitable, bien qu’il ne le soit pas dans les faits. Par notre travail, nous faisons tout pour forcer le système à accorder à nos clients leurs droits constitutionnels. Je crois aussi que l’être humain est résilient et peut devenir une meilleure version de lui-même. J’ai connu beaucoup de personnes qui ont changé pour devenir des détenus modèles, des amis solidaires, des éducateurs, etc., endossant un nouveau rôle dans la vie – des personnes se sont rachetées. Je fais ce travail parce que tous ceux qui sont précipités dans le système pénal m’importent beaucoup. Si nous avions vraiment à cœur d’éviter des tragédies, de rendre le vécu des victimes plus gérable, et d’appliquer des peines pouvant aussi réhabiliter, nous ferions beaucoup de choses différemment. J’aspire à un système ne brisant pas les gens comme il le fait maintenant – accusés comme victimes – et je crois qu’un tel système est possible.

 

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Elizabeth Vartkessian

 

 

Elizabeth Vartkessian est docteur en droit. Elle vit et travaille à Baltimore (Maryland). Elle a fondé et dirige Advancing Real Change, Inc., une organisation de défense des droits humains à but non lucratif qui mène des enquêtes biographiques pour des accusés pauvres risquant la peine de mort, ou la perpétuité pour des crimes commis avant leurs 18 ans.


Elle est aussi chercheuse au sein du Capital Jury Project (Université d’État de New York à Albany), un projet de recherche soutenu par la National Science Foundation, qui étudie la prise de décision des jurés dans les procès en peine capitale.

 
 

L'enquête biographique


L’enquête biographique (« life history investigation ») concerne un accusé qui, la plupart du temps, risque la peine de mort ou une autre lourde peine. Elle est multigénérationnelle : l’enquêteur collecte des informations approfondies sur trois générations de la famille. Il procède à des entretiens avec un maximum de personnes ayant connu l’accusé : proches, amis, connaissances et membres de la collectivité. Cette vaste enquête peut révéler des schémas de fonctionnement, des traumatismes, des problèmes de santé mentale et d’autres éléments. Tous ces facteurs reconstituent le contexte nécessaire aux procureurs et aux juges ainsi qu’aux jurés qui doivent décider. En résumé, l’enquête biographique ouvre une perspective permettant de voir l’accusé comme une personne à part entière tout au long de la procédure.

 
 
 
 
 

Exemple d’annonce pour vos collectes de paroisse

 

La collecte de ce jour est destinée à l’organisation des droits humains
ACAT-Suisse – l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture et de la peine de mort. Par conviction chrétienne, l’ACAT s’engage pour que tout être humain de ce monde puisse être protégé de la torture et de la peine de mort. L’ACAT mène plusieurs campagnes annuelles pour sensibiliser le public à la problématique de la torture et de la peine de mort. Les membres de l’ACAT interviennent par lettre en faveur de personnes qui ont subi la torture ou qui risquent d’être torturées ou condamnées à mort. Le travail de l’ACAT-Suisse est financé par les cotisations de ses membres, des dons et des collectes.

Un grand merci pour votre soutien – pour les droits humains !

Chaque franc est une contribution
en faveur d’« un monde sans torture ni peine de mort ».